PIGMENTS

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Les substances naturelles colorées ont très tôt suscité la curiosité et l’intérêt des hommes. Le simple fait qu’elles soient visibles a stimulé leur étude tout en facilitant les techniques de recherche. L’emploi de préparations naturelles pour l’embellissement des demeures, des poteries, des étoffes remonte aux époques les plus reculées. La transmission orale des recettes est responsable de la disparition d’un grand nombre de ces dernières; on en retrouve cependant dans le Papyrus de Leyde (IIIe s.) et dans les Instructions générales pour la teinture des laines de Colbert, en 1761. Les populations du bassin méditerranéen ont utilisé la pourpre, le kermès. La gaude, la garance et l’indigo ont été largement répandus en Europe. Sur le continent américain, on rencontre l’usage des bois rouges du Brésil et de la cochenille mexicaine.

Une substance est un pigment si elle absorbe la lumière visible; de cette définition même ressort la grande hétérogénéité de ce groupe. Les fonctions chimiques responsables de l’absorption de la lumière sont appelées chromophores ; il s’agit en général soit de liaisons riches en électrons délocalisés, soit, mieux encore, de la conjugaison de ces liaisons. On a appelé auxochromes des groupes, ou fonctions chimiques, susceptibles de modifier la coloration introduite par un chromophore. Certains pigments, telle la chlorophylle, sont très répandus dans la nature; d’autres, plus rares, n’ont parfois été trouvés que dans une seule espèce. Au cours des recherches sur les pigments a été inventée la technique chromatographique [cf. CHROMATOGRAPHIE]. Les progrès les plus récents sont liés au développement des techniques spectrométriques, en particulier la spectrométrie de masse et la spectrométrie de résonance magnétique nucléaire. La connaissance des processus de biosynthèse, d’une part, et celle des rôles biologiques, d’autre part, sont actuellement en pleine évolution. On présentera dans ce qui suit les caractéristiques essentielles des principales familles de pigments en les illustrant par des exemples de structures chimiques.

1. Pigments non azotés

aroténoïdes

Structures et classification

Le terme caroténoïde s’appliquait à l’origine au pigment de la carotte (Wackenroder, 1830). On désigne à présent sous ce nom une famille de pigments poly-isopréniques dont la coloration varie du jaune au rouge (fig. 1); leur chromophore contient de nombreuses liaisons éthyléniques conjuguées. Généralement, les unités isoprènes sont disposées de telle façon que deux méthyles sont en position 1,6 dans la partie centrale de la molécule, alors que les autres sont en 1,5.

La plupart des caroténoïdes peuvent être rattachés à la structure du lycopène . En effet, par des modifications de proche en proche telles que cyclisations, réductions, migrations de liaisons, oxydations, on peut prévoir à partir du lycopène la formule des principaux caroténoïdes naturels.

Ces pigments sont solubles dans les lipides (graisses), d’où le terme «lipochromes» qui leur est parfois attribué. Plusieurs sont des provitamines A et sont indispensables aux animaux. Ces derniers sont par ailleurs incapables de synthétiser les caroténoïdes et doivent se les procurer par leur alimentation. Ces pigments peuvent être combinés avec des acides gras (esters de xanthophylles ), des protéines (chromoprotéines) et des sucres (crocine , par exemple); dans les deux derniers cas, ils deviennent hydrosolubles. Les techniques chromatographiques sont nécessaires pour leur isolement à l’état pur. Des fractionnements préalables sont possibles en utilisant les différences de solubilité entre une phase supérieure éthéropétrolique (épiphase) et une phase inférieure contenant 90 p. 100 de méthanol et 10 p. 100 d’eau (hypophase). Les hydrocarbures caroténoïdes et les esters de xanthophylles sont épiphasiques; les xanthophylles libres, ou obtenues par saponification des esters, sont hypophasiques.

Biosynthèse et répartition

La biosynthèse des caroténoïdes s’effectue chez les végétaux à partir de l’acétate, par l’intermédiaire du mévalonate et du pyrophosphate de farnésyle.

Les animaux, bien qu’incapables d’effectuer cette biosynthèse, modifient cependant les structures des caroténoïdes ingérés. L’astaxanthine (dihydroxy-3,3 dioxo-4,4 廓-carotène) des Crustacés peut être considérée comme le terme ultime d’une série d’hydroxylations et d’oxydations à partir du 廓-carotène; les colorations observées chez les Crustacés sont dues à des chromoprotéines de ce pigment, comme les crustacyanines des homards. Le pigment rouge de l’anémone de mer Actinia equina , l’actinio-érythrine (2, 2 bis norastaxanthine), est un métabolite particulier de l’astaxanthine; les deux cycles 廓-ionone ont subi une contraction avec perte d’un atome de carbone. De nouveaux types de caroténoïdes ont été découverts: caroténoïdes aromatiques des éponges et des bactéries photosynthétiques (réniératène , par exemple); alléniques des algues brunes (fucoxanthine ) et des feuilles (néoxanthine ); acétyléniques du plancton (diatoxanthine , pecténoxanthine ).

Rôle biologique

La signification biologique des caroténoïdes, ailleurs que dans la vision, est souvent mal connue.

Chez les végétaux , carotènes et xanthophylles accompagnent la chlorophylle dans les chloroplastes; la molécule chlorophyllienne renferme du phytol, alcool à 20 atomes de carbone (C 20) ayant d’étroits rapports avec les carotènes [cf. CHLOROPHYLLES]. Outre leur rôle dans la photosynthèse – intermédiaires dans le transfert de l’énergie lumineuse à la chlorophylle dans les chloroplastes et intervenant dans les phénomènes d’oxydoréduction –, ils sont responsables de la coloration jaune des organes végétaux, concurremment avec les flavonoïdes. Ainsi, le carotène est particulièrement abondant dans la racine de carotte, le lycopène dans la tomate, le poivron, la crocétine dans le safran, etc. Par ailleurs, le phénomène de la dormance et celui de la chute des feuilles sont liés à la production de l’acide abscissique; la structure de cette substance est apparentée à celle de l’acide farnésique, mais elle peut provenir de l’oxydation des pigments caroténoïdes des feuilles (néoxanthine, par exemple).

Chez les animaux , les caroténoïdes jouent un rôle dans la défense et surtout dans la vision. Ainsi, la sécrétion défensive de la sauterelle Romalea microptera contient une méthylcétone allénique également dérivée de la néoxanthine.

Les caroténoïdes sont des provitamines A et entrent dans la constitution des pigments rétiniens. En effet, au niveau de la muqueuse intestinale, l’organisme scinde par 廓-oxydation le carotène dans son plan de symétrie entre les carbones 15 et 15 (fig. 2). Le premier produit d’oxydation serait l’aldéhyde de la vitamine A, ou rétinal , qui est ensuite réduit en alcool, le rétinol ou vitamine A1 [cf. VITAMINES]. Cette dernière peut être estérifiée, puis stockée; elle exerce une action sur la croissance. Le déhydro-3 rétinol, ou vitamine A2, se distingue de la première par une double liaison supplémentaire dans le cycle 廓-ionone.

Les rétines des Vertébrés contiennent deux sortes de cellules photoréceptrices: les bâtonnets et les cônes. Les premières sont impliquées dans la vision crépusculaire, les secondes dans la vision diurne et la différenciation des couleurs. Dans les bâtonnets de la rétine des Poissons et des Vertébrés terrestres, le pigment photosensible est le pourpre rétinien ou rhodopsine , qui est constitué par une protéine, l’opsonine, et le rétinal 11 cis . C’est seulement sous cette forme cis que l’opsonine s’associe en une chromoprotéine; le rétinal est fixé à un reste lysine de l’opsonine. Dans les cônes, le pigment rétinien est l’iodopsine . Le mécanisme biochimique de la vision est exposé dans les articles œil HUMAIN, SENSIBILITÉ, VISION.

Quinones

Les quinones sont des pigments jaune à rouge-violet que l’on rencontre dans les règnes animal et végétal; leur existence est cependant souvent masquée par d’autres pigments, ou bien encore par leur situation à l’intérieur des organismes. La couleur est liée au chromophore quinonique: dicétone aromatique dont les fonctions peuvent être en position 1,4 ou 1,2, voire dans des cycles différents.

Les quinones sont classées, selon le nombre de noyaux aromatiques, en benzoquinones, naphtoquinones, anthraquinones et phénanthraquinones (fig. 3). Ces substances sont souvent très réactives; elles peuvent colorer la peau par suite de combinaisons avec les groupes amines (NH2) libres des protéines; certaines, en particulier les hydroxyquinones, sont utilisées comme teintures pour fibres textiles (formation de laques).

Les benzoquinones sont volatiles et peuvent avoir une action vésicante, d’où leur usage comme arme chimique chez un grand nombre d’Invertébrés (Coléoptère bombardier). On trouve effectivement chez les Arthropodes de nombreuses benzoquinones diversement substituées. La plus simple, la p -benzoquinone, a été isolée des sécrétions défensives de Myriapodes et de Coléoptères; parmi les bensoquinones substituées figurent la méthylbenzoquinone, l’éthylbenzoquinone, la méthyl-2 méthoxy-3 benzoquinone, ainsi que des diméthyl- et triméthylbenzoquinones; ces dernières se trouvent dans un venin d’araignée.

Les ubiquinones , ou coenzymes Q, sont des p -benzoquinones possédant une chaîne isoprénique dont la longueur varie suivant les cellules qui les produisent; elles jouent un rôle important comme transporteurs d’électrons dans les mitochondries. Dans le cas des plantes, la plastoquinone , ubiquinone isolée des chloroplastes, possède une chaîne isoprénique en C 45; elle fonctionne dans la photosynthèse en tant que substrat rédox réversible [cf. PHOTOSYNTHÈSE]. On rencontre en outre chez les végétaux des ubiquinones ayant des chaînes en C 50; chez les champignons: C 30 à C 35; chez les Invertébrés: C 40 à C 50; chez les Vertébrés: C 45 et surtout C 50. La cyclisation des chaînes latérales conduit aux ubichroménols. Comme autres exemples de benzoquinones, on peut citer la fumigatine, la spinulosine et l’acide polyporique isolés de champignons, et chez les végétaux supérieurs les diméthoxy-2, 5 et 2, 6 benzoquinones, l’embelline et la rapanone.

Les naphtoquinones se rencontrent dans le règne animal, essentiellement chez les oursins (spinochromes). On connaît actuellement une vingtaine de spinochromes ne différant entre eux que par le nombre d’hydroxyles et l’existence ou non d’une chaîne latérale à deux atomes de carbone. La coloration due à ces substances peut changer en fonction du cation chélaté (pourpre avec le calcium). Chez les végétaux, la naphtoquinone la plus simple est la lawsone (hydroxy-3 naphtoquinone) des feuilles de henné et dont l’éther méthylique est présent dans la fleur de la balsamine; la juglone des feuilles de noyer possède une structure isomère de la lawsone.

Les vitamines du groupe K sont des naphtoquinones à chaîne isoprénique, dont la longueur peut varier de 6 à 9 restes prényles. La vitamine K2, ou ménaquinone-6, est la plus répandue; elle possède une chaîne difarnésyle. La vitamine K1 (méthyl-2 phytyl-3 naphtoquinone-1, 4) ou phylloquinone renferme une chaîne latérale phytyle (fig. 3). Chez de nombreuses bactéries, les ménaquinones font apparemment partie de la chaîne respiratoire; elles y remplacent l’ubiquinone. Chez les Mammifères, elles ont une action vitaminique: antihémorragique ou anticoagulante [cf. VITAMINES]. Le phtiocol (méthyl-2 hydroxy-3 naphtoquinone) est vraisemblablement un produit d’oxydation d’une vitamine K2. On peut rattacher aux naphtoquinones un petit groupe de pérylène-quinones, qui sont en fait des dimères des premières.

Les anthraquinones , dérivées de l’anthracène forment un groupe important. Beaucoup montrent une répartition des oxygènes caractéristique d’une origine polyacétique. Elles existent fréquemment sous forme de glucosides, en particulier chez les Rubiacées. L’émodine est trouvée chez les champignons, les lichens et les plantes supérieures. Le couplage oxydatif peut conduire à des dimères comme l’hypéricine isolée du millepertuis (Hypericum hirsutum ). Des anthraquinones, identifiées chez les Insectes, ont été utilisées pour teindre les vêtements: acide carminique des Coccidae mexicaines, acide kermésique de la «punaise» femelle du chêne kermès et acide laccaïque de Laccifer lacca . Les rhodocomatuline, rubrocomatuline, rhodoptométrine et leurs dérivés sont des anthraquinones d’Invertébrés marins appartenant à la famille des Crinoïdes. Les polyanthraquinones (type hypéricine) sont représentées chez les animaux par les aphines des pucerons (érythroaphine par exemple) et la zoopurpurine du protozoaire cilié Blepharisma .

Les phénanthraquinones , dérivées du phénanthrène, sont rares dans la nature. Le denticulatol est produit par certaines espèces de Rumex , et la piloquinone par Streptomyces pilosus .

Flavonoïdes

On désigne sous le terme de flavonoïdes (flavus , jaune) plusieurs groupes de substances telles que les flavonols, les flavanones, les anthocyanidols, pouvant être rattachées par leur structure à la flavone ou phényl-2 chromone (fig. 4). À l’exception des chalcones, ces pigments sont toujours tricycliques. Leur squelette carboné C6-C3-C6 est caractérisé par la présence de deux cycles benzéniques A et B et d’un hétérocycle oxygéné. L’ouverture du cycle oxygéné caractérise les chalcones. Dans les aurones, cet hétérocycle ne comprend que deux atomes de carbone. Les anthocyanidines possèdent un hétérocycle de type benzopyroxonium à oxygène tétravalent; on en distingue trois groupes: la pélargonidine, la cyanidine et la delphinidine, suivant que le cycle B porte une, deux ou trois fonctions phénoliques. Les flavonoïdes sont d’origine strictement végétale; mais ils ne sont pas présents chez les micro-organismes, champignons et lichens; on a isolé, à partir des fougères, des flavonoïdes (cyrtominétine), ayant subi une C-méthylation aromatique. Les pigments flavonoïdes sont responsables de la coloration de nombreuses fleurs et de leurs fruits, et parfois des feuilles, jeunes ou sénescentes.

On rencontre dans les différents groupes de flavonoïdes une grande variété de substances, correspondant à divers degrés de substitution des noyaux aromatiques A et B; ces substitutions ne sont pas réalisées au hasard, mais en relation avec l’origine polyacétique du noyau A et celle préphénique du noyau B (cf. biogenèse des composés PHÉNOLIQUES). Les flavonoïdes sont formés de la condensation de trois unités acétate et d’un acide cinnamique provenant de la phénylalanine ou de la tyrosine; cette condensation conduit d’abord aux chalcones, intermédiaires vers les flavones et les anthocyanines d’une part, vers les isoflavones et les aurones d’autre part.

Les flavonoïdes existent le plus souvent sous forme de glycosides tels que le rutoside (quercétol-3 rutinoside) du sarrasin (fig. 4). La majorité des colorations rouges et bleues des fleurs et des fruits sont dues à des glycosides des anthocyanidines (anthocyanines). La couleur apparente peut être modifiée par d’autres pigments, flavonoïdes ou non, tels que les chlorophylles et les caroténoïdes; des colorations noires sont ainsi observées à partir d’anthocyanines bleues (copigmentation); la chélation des métaux et les variations de pH sont d’autres facteurs pouvant faire varier la couleur due à des flavonoïdes.

En effet, les anthocyanidines changent de couleur suivant le pH; la cyanidine est bleue en solution alcaline, violette en solution neutre, rouge en solution acide. Enfin, on connaît des formes incolores d’anthocyanine (pseudo-bases).

La première substance flavonoïde obtenue à l’état pur est le morin, isolé par E. Chevreul en 1814 de Morus tinctoria (les qualités tinctoriales de nombreux végétaux contenant des flavonoïdes ont été utilisées pendant longtemps). On a observé dans les ailes des papillons une accumulation de flavones et de leurs glycosides (pigments provenant de la nourriture de la chenille). Des hydroxylations ultérieures et des méthylations des pigments flavonoïdes peuvent conduire à des structures très substituées, comme la digitricine de la digitale pourpre; dans cette substance, les trois oxygènes du noyau B sont introduits par suite de la condensation de trois unités acétate (noyau A) avec un acide sinapique.

Le rôle biologique des flavonoïdes est mal connu. En raison de leur structure polyphénolique, on pense qu’ils pourraient intervenir dans les chaînes d’oxydoréduction, et par là exercer une influence, mise en évidence dans certains cas, sur la respiration, la croissance et la germination.

2. Pigments azotés

Ptérines

Les ptérines sont des pigments azotés dont la structure de base est celle d’un tétra-azanaphtalène (fig. 5). Les ptérines naturelles possèdent toutes un groupe aminé en position 2 et un hydroxyle en 4 (nomenclature anglaise).

Leurs colorations sont variées, allant du blanc au jaune et au rouge. Un grand nombre a été isolé des ailes de Lépidoptères (d’où leur nom). La première ptérine isolée et identifiée a été la leucoptérine (papillon Gonepteryx rhamni ); des ailes de Pieris , on a isolé la xanthoptérine, l’érythroptérine, etc. On considère ces pigments comme des «produits d’excrétion utilisés à des fins décoratives», c’est-à-dire qu’ils n’ont plus de rôle biologique et sont éliminés de l’organisme par stockage dans les ailes, où ils servent à la protection (homochromie) et à la signalisation vis-à-vis d’amis ou d’ennemis. L’acide folique, facteur de croissance, est un acide ptéroylglutamique; il possède, en dehors du noyau de ptéridine substituée, une chaîne constituée par l’acide para-aminobenzoïque (PAB) qui, pour de nombreux micro-organismes, est le véritable facteur de croissance; le groupement carboxyle du PAB est amidifié par l’acide glutamique (cf. SULFAMIDES ET SULFONES, VITAMINES). La bioptérine a été isolée de l’urine humaine, des écrevisses, des papillons Ephestia kühniella , de l’abeille et des drosophiles.

Les ptérines peuvent être biosynthétisées à partir de la guanosine, par l’intermédiaire d’une tétrahydroptérine ayant une chaîne latérale hydroxylée sur le carbone 3. On pense que les ptérines sont des produits biologiquement inactifs; par contre, les tétrahydroptérines seraient des catalyseurs des hydroxylations enzymatiques (transformation de la phénylalanine en tyrosine ; du tryptophane en cynurénine par exemple).

Par leur structure, les flavines sont apparentées aux ptérines; ce sont des substances hydrosolubles, jaunes, fluorescentes, mais qui participent peu à la coloration des tissus (riboflavine des cytochromes-oxydases et coenzymes); bien que largement répandue dans les règnes animal et végétal, la riboflavine n’est pas biosynthétisée par les animaux [cf. ENZYMES].

Mélanines

Le nom de mélanines (du grec melas , melanos , noir) est généralement accepté bien qu’il couvre une famille de pigments très divers, à la fois par leur origine, leur structure, et parfois leur couleur. Les mélanines sont largement représentées dans les deux règnes. Ce sont des polymères dont la couleur varie du jaune au brun et au noir; certaines sont rouges. Elles sont insolubles dans les acides. Leur étude est compliquée, d’abord par le fait qu’il s’agit de polymères, mais aussi parce que leur extraction est difficile; elles sont souvent combinées à des protéines. L’étude des mélanines a commencé par une longue période de «frustration» et se poursuit actuellement par une période d’«incertitude» (Nicolaus).

On classe les mélanines en: phæomélanines (jaune à brun clair), eumélanines (brun à noir) et allomélanines (divers). Alors que les phæomélanines et eumélanines sont trouvées dans le règne animal, les allomélanines sont des pigments des végétaux, champignons et bactéries. Les pigments des cheveux, des plumes et de l’encre des Céphalopodes (sépiomélanines) sont des eumélanines; ils peuvent en outre (dans les plumes) participer à des phénomènes de diffraction de la lumière donnant ainsi des couleurs irisées. Les pigments de cheveux humains roux et des poils de renards rouges sont des phæomélanines. Les phæomélanines et eumélanines peuvent coexister ou s’ajouter à d’autres pigments et l’on obtient ainsi une grande variété de pigmentations (dans les plumes par exemple). Parmi les allomélanines, citons la sclérotine des cuticules d’Insectes, et le pigment noir d’Aspergillus niger .

Le précurseur biologique des eumélanines est la tyrosine; l’oxydation de cette dernière donne le dopachrome, l’acide dihydroxy-5,6 indole carboxylique et le dihydroxy-5, 6 indole; la polymérisation de ces précurseurs conduit aux eumélanines (fig. 6). Toutes les réactions qui aboutissent à la mélanine sont catalysées par une seule enzyme, la phénoloxydase. L’albinisme, absence de mélanine dans la peau, les phanères, l’iris et la rétine, s’accompagne d’une augmentation de l’élimination urinaire de la phénylalanine et de la tyrosine, par suite de la carence d’une enzyme qui catalyse la transformation de la dopa en mélanine.

Les phæomélanines proviennent de la tyrotine et de la cystéine. Dans les allomélanines on trouve des produits de réaction des quinones sur des aminoacides et des protéines, des polymères de polyphénols (acides humiques), etc. Ces schémas simplifiés se compliquent souvent par l’introduction d’éléments divers; ainsi, dans la sépiomélanine on trouve des combinaisons de l’acide dihydroxy-5, 6 indole carboxylique avec le dihydroxy-5, 6 indole, et avec des acides pyrroliques mono-, di- et tricarboxyliques. La structure des acides humiques du sol, de la tourbe et des charbons est particulièrement complexe du fait du grand nombre de polyphénols pouvant entrer dans leur composition [cf. HUMUS]. Chez les Insectes, l’apparition des pigmentations dues aux mélanines est très sensible aux conditions de l’environnement, comme la température, l’humidité et la teneur en gaz carbonique.

Ommochromes

Les ommochromes sont, à l’origine, des pigments d’yeux d’Insectes ommatidies. Mais, depuis leur découverte en 1937, on les a isolés dans de nombreux tissus et sécrétions d’Arthropodes, où ils peuvent être liés à des protéines. Ils forment une famille de pigments jaune à rouge-violet, solubles dans les acides, ce qui les différencie des mélanines. On connaît actuellement trois groupes d’ommochromes: les ommatines, les ommines et les ommidines (fig. 7). Les ommatines sont représentées par trois pigments: un rouge, la rhodommatine; un jaune, la xanthommatine et un brun-rouge, l’ommatine D.

Du point de vue biochimique, ce sont des dérivés du tryptophane: par exemple, deux molécules d’hydroxy-3 cynurénine se sont condensées pour donner l’ommatine (fig. 8) et trois pour l’ommine A. L’ommatine D contient en outre une liaison ester sulfate; la rhodommatine fournit par dégradation une molécule de xanthommatine et un molécule de glucose; l’ommine A contient du soufre. Les ommochromes peuvent donc être considérés comme les produits terminaux du métabolisme du tryptophane chez les Arthropodes. Ils ne paraissent pas indispensables à la croissance ou à la vie de l’animal. Ils peuvent participer à la pigmentation générale des cuticules et avoir un rôle dans le phénomène d’homochromie; ils auraient une grande importance dans la vision de ces animaux en filtrant les radiations.

Des travaux de génétique, effectués sur les pigments des yeux des Insectes (mouche du vinaigre Drosophila ), ont permis d’établir une relation gène-protéine. En effet, les généticiens ont réussi à obtenir des drosophiles mutantes à yeux clairs. Chez ces Insectes, la chaîne des réactions conduisant à la formation d’un pigment oculaire brun, caractéristique des souches initiales, est donc affectée. En outre, on a montré d’une part que ce pigment, la xanthommatine, dérive du tryptophane; d’autre part que, dans une des souches mutantes, l’étape transformant le tryptophane en cynurénine est bloquée, alors que dans une autre ce blocage affecte uniquement le passage de la cynurénine à l’hydroxy-3 cynurénine.

L’explication la plus simple de ce phénomène est qu’un gène déterminé contrôle, par l’intermédiaire d’une enzyme spécifique, une étape particulière de la synthèse du pigment, chaque gène étant responsable de la biosynthèse d’une enzyme («un gène, une enzyme»); il contient donc l’information correspondant à la séquence des acides aminés dans les protéines. Des détails sur l’action biochimique du gène, le code génétique, la biosynthèse des protéines, etc., sont exposés dans les articles GÉNÉTIQUE, BIOLOGIE MOLÉCULAIRE, MUTATIONS.

Pigments tétrapyrroliques

Structure

On rassemble dans la famille des pigments tétrapyrroliques les pigments porphyriniques tels que la chlorophylle, l’hémoglobine (cf. CHLOROPHYLLES, HÉMOGLOBINE) et les bilines ou pigments biliaires. Les porphyrines, les bilines mises à part, sont des dérivés tétrapyrroliques cycliques, dont la formule peut être rapportée à celle de la porphine. La structure des diverses porphyrines dérive de celle de la porphine par remplacement des hydrogènes aux sommets par différents groupes fonctionnels. Les porphyrines se combinent facilement avec un atome de métal, qui se trouve lié par des valences coordinatives à deux des quatre azotes porphyriniques.

Les pigments biliaires – dont les représentants principaux sont, chez les animaux, la biliverdine et la bilirubine – se distinguent nettement des autres groupes de pigments tétrapyrroliques. En effet, si la plupart comportent encore quatre noyaux pyrroliques dans leur molécule, ces noyaux sont en chaîne linéaire, unis par trois ponts carbonés au lieu de quatre (fig. 9). Les pigments biliaires présentent, en général, une réaction colorée d’oxydation caractéristique (réaction de Gmelin).

Le précurseur biologique direct des pigments tétrapyrroliques est le porphobilinogène, formé par l’union de deux molécules d’acide 嗀-amino-lévulinique [cf. PORPHYRINES ET PORPHYRIES]. Les pigments porphyriniques ainsi obtenus conduisent aux pigments biliaires linéaires (fig. 9) par ouverture du cycle au niveau d’un pont méthène (=CH–).

Répartition biologique

Des porphyrines ont été isolées dans les urines, le sang, les levures, etc., ainsi que dans beaucoup d’Invertébrés marins et leurs coquilles. Elles sont responsables de la couleur de nombreuses coquilles d’œufs. Les plumes du touraco (Afrique) sont colorées en rouge par un complexe du cuivre avec l’uroporphyrine III; un dérivé oxydé de ce pigment est présent dans les plumes vertes de cet oiseau.

La biliverdine existe sous forme de chromoprotéide vert chez de nombreux Insectes orthoptères, mante religieuse et criquet par exemple. Son isomère, la ptérobiline, est fréquemment trouvé chez les chenilles vertes et dans les ailes de papillons. Ces derniers contiennent d’autres bilines bleues ou vertes de structure encore inconnue (néoptérobilines). Le pigment violet de la sécrétion défensive du lièvre de mer (aplysie) appartient à cette famille (aplysiovioline). Certains poissons accumulent la biliverdine et les pigments voisins dans leurs écailles et leur squelette. Les phycobilines sont des groupes prosthétiques de biliprotéines et participent aux activités photosynthétiques de nombreuses algues (bleues et rouges) qui leur doivent leur couleur; les phycobilines sont indispensables à la réception des radiations vertes qui sont ensuite transmises à la chlorophylle; en effet, l’eau de mer absorbe les radiations bleues (pigments jaunes des eaux de mer) qui ne parviennent donc que faiblement dans les profondeurs. Des chromoprotéines semblables sont aussi rencontrées chez les végétaux supérieurs (phytochromes). Les phytochromes ne participent pas à la photosynthèse, mais à des régulations phytophysiologiques: ce qui permet aux végétaux des adaptations photopériodiques (croissance, mise à fleur, pigmentation); ils sont activés par la lumière rouge (660 nm), et inactivés par le rayonnement brun-rouge (730 nm).

3. Pigments divers

Bétacyanines et bétaxanthines

Les bétacyanines forment un groupe à part de pigments rouge à violet (fig. 10); les bétaxanthines sont des dérivés jaunes. On les trouve chez de nombreux végétaux, en particulier dans les familles de l’ordre Centrospermae , dans les betteraves (d’où leur nom de Betta vulgaris ), les bougainvilliers, les fleurs de cactus, etc. La plupart des structures chimiques de ces pigments sont encore inconnues, de même que leur origine biologique. Du point de vue taxonomique, il est important de noter que l’on ne trouve jamais de bétacyanines dans les plantes produisant des anthocyanines. La structure de la bétanidine, aglycone du glycoside bétanine de la betterave, a été établie par Dreiding.

Indigoïdes

Les indigoïdes sont des pigments dérivés de l’indole; ils peuvent présenter une grande variété de colorations: bleu, rouge, vert, etc., et se rencontrent chez les végétaux et les animaux. L’indigo se trouve chez les végétaux (Indigofera sp.), mais peut aussi être produit par des micro-organismes (Schizophyllum commune ). La violacéine, pigment de Chromobacterium violaceum , se rattache à ce groupe. Le «pourpre antique», obtenu par oxydation à l’air des sécrétions de l’escargot marin Murex brandaris , est une dibromo-indigotine (fig. 10). Le hallachrome, pigment rouge de certains vers marins, serait un acide dicéto-5, 6 indole carboxylique.

Phénazines et phénoxazones

Une douzaine de phénazines ont été isolées à partir de micro-organismes, dont la pyocyanine (bleue, bien que la plupart des phénazines soient jaunes). On trouve encore: la chlororaphine, l’iodinine, le phénazinol-1 et l’acide phénazine carboxylique-1.

Le chromophore phénoxazone appartient à de nombreux métabolites de Streptomyces et Coriolus sp. Ce sont des chromoprotéides rouges (antibiotiques du genre actinomycine, cinnabarine, etc.), dont la structure est analogue à celle des ommochromes.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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